Undiscovered Canvas: L’agence d’art contemporain africain en plein essor

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Shake The Room – Mookhi Okhi

Shake The Room – Mookhi Okhi

 

Une conversation en toute franchise avec la fondatrice, Nomaza Nongqunga Coupez.

Nous nous sommes entretenus avec Nomaza lors d’un chat vidéo. Femme d’affaires passionnée et avisée, elle a partagé avec nous son amour de l’art, des artistes africains émergents et a parlé du parcours de son entreprise. Une invitation à s’immerger dans son univers, celui de Undiscovered Canvas.

Nomaza est d’origine Xhosa, l’un des peuples autochtones en Afrique du Sud. Elle est née dans un village, Ngqeleni, dans la province du Cap oriental. À la fin de ses études de biochimie, elle a commencé par travailler dans un laboratoire, avant de devenir représentante médicale, car elle aimait le contact humain qu’elle y trouvait. C’est lors d’un voyage d’affaires à l’île Maurice que Nomaza a rencontré son futur mari. Les tensions raciales en Afrique du Sud ont décidé le couple à s’installer en France. C’était le bon moment ; elle avait besoin de changement, elle avait besoin de faire quelque chose de nouveau, plus en accord avec elle-même et ses passions.

À l’époque, en 2009, Nomaza connaissait peu la France. Comme elle le raconte, ce fut « un réveil brutal » : elle avait tout à découvrir du pays. C’est en relevant ces défis qu’elle a su apprécier la culture, a appris à parler la langue et finalement, a adopté la France comme son nouveau foyer. La famille s’est installée dans la région du Luberon, au Sud, où Nomaza a participé à des événements culturels et visité les musées et les galeries. Cette exposition aux expressions artistiques variées lui a fait réaliser que « la culture est la clé » de son intégration dans ce nouveau lieu et une porte ouverte à son épanouissement professionnel. Sept ans plus tard, Undiscovered Canvas est né.

 
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Pouvez-vous nous parler de la genèse de Undiscovered Canvas, comment cela a-t-il commencé et pourquoi ?

Je me rendais souvent en voiture à Avignon, la grande ville la plus proche : c’est une région rurale, avec de nombreux vergers où l’on cultive des cerises, des pêches et du blé. Au début, je n’étais pas très attentive au panorama, mais ensuite je me suis intéressée à la vie de Van Gogh. Il a été hospitalisé pour des troubles psychiques à Saint-Rémy de Provence, un village au sud de la France. Je me suis donc rendue à l’asile où l’on peut encore visiter sa chambre et voir certaines de ses œuvres. Là, je suis tombée sur le tableau La sieste, et j’ai été frappée : c’était ce même paysage que je voyais en conduisant ! Cet homme a peint cette œuvre en 1889, et pourtant, il semblait capturer le passé, le présent, et probablement le futur.

 

À la même époque, je me suis aperçue que les gens ne connaissaient pas grand-chose de l’Afrique du Sud et qu’il m’était difficile de transmettre mon héritage, notamment parce que le système scolaire public ne nous enseignait pas notre culture. J’ai décidé que si je devais retourner en Afrique du Sud, ce serait à travers l’art que je m’informerais sur mon pays, sur mon continent et peut-être, à l’avenir, je ferais venir des artistes en France.


Au fur et à mesure que j’apprenais, ma curiosité s’éveillait davantage. Au lieu de me contenter de livres d’histoire, j’ai appris le passé de l’Afrique du Sud et ses enjeux politiques à travers le regard des artistes ; les artistes du passé, les artistes présents et ceux en émergence.


En fait, je m’identifie davantage à la jeune génération, car ils ont été éduqués dans le même système scolaire et tentent de frayer leur chemin dans ce monde. Il y a dix ans, ces jeunes talents n’étaient pas représentés. À cette époque, les artistes sud-africains commençaient tout juste à attirer l’attention en France, et il s’agissait principalement d’artistes établis. Je me suis donc dit que c’était quelque chose que je pouvais entreprendre ; présenter au public, qui n’a qu’une vision fragmentaire de l’art africain, un espace dédié à cette fin.

 
Synchronized – Phila Hillie

Synchronized – Phila Hillie

Synchronized II – Phila Hillie

Synchronized II – Phila Hillie

 

Comment décririez-vous Undiscovered Canvas ? Lancé comme un concept store, le considérez-vous dorénavant comme une galerie d’art ou une agence de promotion artistique ?


Undiscovered Canvas est en constante évolution. Pour l’instant, c’est une agence qui promeut de jeunes artistes visuels émergents basés en Afrique par le biais d’expositions physiques et d’une boutique en ligne.


En parallèle, Undiscovered Canvas a deux autres activités : la première est le concept store. En tant qu’Africaine fière de ses racines, je ne cherche pas seulement à promouvoir les artistes plasticiens. J’aime tout autant les designers, les bijoutiers et les nombreux autres artisans d’Afrique. Lorsque je porte leurs créations, les gens me demandent toujours d’où viennent-elles et j’ai donc vu une opportunité de faire connaître leur travail en France. C’est la raison d’être du concept store.

La deuxième activité est la résidence d’artiste. Accueillir les artistes que je représente en France les aide à comprendre l’environnement dans lequel je travaille et leur permet de parler de leurs créations avec le public. C’est aussi une occasion pour eux de rencontrer d’autres créatifs et d’échanger, car en voyant des réalités différentes, on peut donner un nouvel élan à sa pratique. Si nous ne donnons pas aux artistes africains la possibilité de voir ce qui existe ailleurs, nous les bridons!

 
Lady Liberty III

Lady Liberty III

 

Que pensez-vous de la présence de l’art africain contemporain en Europe aujourd’hui ?

Il en est à ses débuts et j’ai eu la chance d’y être entrée assez tôt. Lorsque j’ai lancé mon entreprise en 2015, les choses ne faisaient que décoller, même au niveau international.

Au cours des cinq dernières années, nous avons assisté à une expansion rapide. Plusieurs facteurs ont joué un rôle déterminant. Tout d’abord, il est devenu évident que l’accroissement des investissements dans les infrastructures en Afrique favorise l’innovation et permet aux artistes locaux d’accéder à un public plus large. Sans investissements, le marché ne se développe tout simplement pas. En outre, davantage de galeries ont ouvert leurs portes et les événements internationaux se sont multipliés. Tout cela contribue à attirer l’attention sur les milieux artistiques du continent. Cela signifie que les créateurs ne dépendent plus des expositions internationales ou des foires d’art ; le monde entier peut désormais se rendre dans différentes régions d’Afrique pour les apprécier.


Les collectionneurs sont également plus nombreux aujourd’hui. Qu’ils soient basés en Afrique ou issus de la diaspora, ils ont à présent tendance à acquérir des œuvres d’art dans un but précis. Cela crée une dynamique formidable, qui montre que nous avons un marché autonome, où des investissements sont réalisés, et grâce à cela, il va se développer de manière exponentielle. Je suis assurément enthousiaste à ce sujet !

Qu’est-ce qui fait que l’art contemporain africain se démarque sur la scène artistique mondiale ?

L’héritage rend l’art africain contemporain unique. Il y a tellement d’histoires qui attendent d’être racontées. Rien qu’en Afrique du Sud, il y a onze langues officielles! Imaginez l’ensemble du continent, la variété des expressions, leurs histoires, les traditions : tout cela constitue notre ressource la plus importante. Je dirai toujours que la culture, sans conteste, est notre plus grande richesse!

 
\Lulama Wolf

Lulama Wolf

Lulama Wolf

Lulama Wolf

 

Quelle est votre approche lorsque vous sélectionnez des artistes ? Quelles œuvres recherchez-vous ?

Je travaille avec des artistes basés en Afrique, principalement dans les pays anglophones pour le moment. Je recherche des talents émergents parce que je suis à la recherche d’histoires qui me parlent ; je gère mon espace presque comme si j’organisais une collection pour moi-même. Je recherche donc des artistes en adéquation avec ma compréhension et mes expériences : des personnes remarquablement innovantes qui créent en utilisant des techniques variées.

Je donne également la priorité à ceux qui recyclent, réutilisent des objets ou des matériaux et à ceux qui puisent dans leurs racines pour s’en inspirer. J’ai beaucoup d’admiration pour les céramistes et les artistes qui utilisent des matériaux organiques dans leurs œuvres tout en incluant la notion de durabilité. Il n’est pas impératif que ce soit beau, mais il faut que cela ait un message.

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Des œuvres  de Lulama Wolf, une artiste que vous représentez, ont été présentées dans Artnet News, et elle a également participé  à la foire d’art contemporain 1-54 cette année. Que faut-il pour promouvoir des artistes et faire en sorte que leur travail soit vu et reconnu ?

 

Lulama est très spéciale ! J’ai commencé à présenter son travail en 2020, pendant la pandémie. Et en l’espace d’un an seulement, elle est déjà reconnue et appréciée à une bien plus grande échelle ! D’autres artistes ont aussi obtenu l’attention qu’ils méritent grâce à Undiscovered Canvas, le céramiste Simphiwe Mbunyuza en est un excellent exemple. Il travaille actuellement avec les plus grands marchands d’art des États-Unis. De même, Giggs Kgole, notre premier artiste résident, collabore en ce moment avec Signature Art à Londres.


Toutefois, il faut s’investir énormément afin de mener  ce travail à bien. Undiscovered Canvas est une entreprise privée, sans subventions de l’État ou autres aides pour alimenter l’activité. Lorsque j’ai commencé, je n’avais aucune expérience, aucune formation artistique, aucun réseau. Il y avait simplement une vision. La vision selon laquelle j’étais la bonne personne pour le faire. J’étais placée dans un espace et un marché stratégiques où je voyais un potentiel de croissance. J’ai dû me poser la question suivante : « Bien que je n’aie pas ces prérequis, que dois-je faire pour accrocher le regard des gens ? » Il m’a fallu plusieurs années pour bâtir la réputation de Undiscovered Canvas. Vous n’entendez peut-être parler de moi que maintenant, mais j’existe depuis cinq ans.


Il faut aussi du flair pour sélectionner les artistes et décider de la plateforme la plus adaptée pour les faire découvrir. Lorsque les possibilités sont inépuisables et que les opportunités sont là pour les artistes, cela permet à Undiscovered Canvas de se développer davantage et de mettre encore plus en lumière leur travail.

 
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Vous avez créé une résidence d’artiste. Pourquoi l’avez-vous créée et comment les artistes peuvent-ils en faire partie ?

La deuxième édition de la résidence d'artiste est prévue pour la fin de l’année 2021. Le projet est mené en collaboration avec la ville d’Antibes, qui a gracieusement mis à notre disposition une ravissante villa. Un appel à candidatures sera adressé aux artistes pour qu’ils postulent à la résidence. Ils peuvent également me contacter via le site web de Undiscovered Canvas avec leur portfolio. Sans nécessairement les exposer tout de suite, s’il s’agit d’une œuvre qui me semble avoir un potentiel, je commence à la présenter en privé à mes collectionneurs.


Que sont les éditions limitées ?

Les éditions limitées sont un moyen pour les artistes qui ont rejoint Undiscovered Canvas d’utiliser une de leurs créations pour un tirage papier numéroté, afin de présenter leur travail et gagner en visibilité. L’objectif des éditions limitées est également de s’adresser aux jeunes collectionneurs et aux collectionneurs de milieu de gamme en rendant les œuvres d’art sélectionnées abordables.

 

Vous créez une passerelle entre l’Afrique du Sud et la France à travers l’art. Vous considérez-vous comme une pionnière ?

Pionnière dans ce secteur, oui, mais pas pionnière dans ce domaine. Je suis comme Picasso, je ne crée rien de nouveau. Cependant, il n’y avait pas de modèle pour moi, j’ai dû aller frapper aux portes, en prenant un « non » pour un « pas maintenant », en y retournant sans relâche — et quand elles se sont ouvertes, j’ai dû donner le meilleur de moi-même. Non seulement pour mon évolution personnelle, mais aussi pour affirmer que permettre à des personnes comme moi de bénéficier de ces opportunités n’est pas une perte de temps ; tout le monde est bénéficiaire, l’inclusion est un avantage pour tous !

De fait, je suis en train de tracer un itinéraire et j’aimerais que d’autres femmes de la diaspora puissent le suivre un jour.

 
 

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui veulent commencer une collection d’art ?

Si vous envisagez de collectionner, je vous dis « Bravo ! », car lorsque vous vous passionnez pour quelque chose, comme lorsque vous acquérez une œuvre d’art, vous vous affirmez en tant qu’individu. Ainsi, collectionnez ce que vous aimez, ce qui vous parle ! Les plus belles collections privées que j’ai vues sont celles qui me donnent l’impression de connaître le collectionneur. Et profitez-en ! Allez-y, trouvez ces jeunes artistes et participez à leur essor!


Comment voyez-vous Undiscovered Canvas dans les années à venir ? Quel résultat souhaitez-vous atteindre avec votre entreprise et pour les artistes que vous représentez ?

J’aimerais que les artistes obtiennent la reconnaissance qu’ils méritent et qu’ils aient accès à une plus grande visibilité au niveau international et dans leur pays ; c’est très important pour moi.

Quant à Undiscovered Canvas, j’aimerais qu’elle soit connue comme une agence de promotion artistique qui se surpasse pour trouver les diamants noirs et les révéler au grand jour. En nous soutenant, vous permettez à d’autres artistes de nous rejoindre afin de faire connaître leur vision du monde à un plus grand nombre.


Pourriez-vous nommer une chose en commun entre l’Afrique du Sud et la France que vous appréciez ?

Ah, c’est une question difficile ! Ce sont des pays très différents ! Je dirais que le vin, c’est quelque chose qu’ils ont en commun et que j’aime. Mais laissez-moi vous dire que le vin blanc sud-africain est plus riche au palais que le vin français !

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